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News - Classic

Les secrets de production de Ain’t no Grave, album posthume de Johnny Cash

 

Le son des six American Recordings de Johnny Cash m’a toujours fasciné, particulièrement les derniers de la série. On avait déjà évoqué dans un précédent article la rencontre entre le producteur Rick Rubin et Johnny Cash et les témoignages qu’ils ont pu faire l’un et l’autre à propos de ces sessions. Mais cette interview sur laquelle je suis tombé de David R Fergusson (crédité en preneur de son sur le 1, ingénieur du son sur le 2, et ingénieur du son / mixeur sur les 3, 4, 5 et 6) amène un éclairage beaucoup plus précis sur la création des deux derniers disques (posthumes) et en particulier sur la chanson Ain’t No Grave, qui ouvre le dernier album sorti en 2010. Une véritable mine d’informations, sur la chronologie des enregistrements, sur les instruments utilisés, sur le matériel de prise de son et de mixage, qui permet notamment de se rendre compte que derrière la simplicité apparente des morceaux se cache un processus de production plus complexe que ce qu’on aurait pu croire. Il m’a semblé que ça intéresserait probablement certains de pouvoir en lire une version en français, voici donc une traduction de l’interview originale. Alors à votre avis quel micro et quel compresseur sur la voix de Cash ? Et comment sont arrivés les bruits de chaînes si emblématiques de ce morceau ?

Bonne lecture !

 

Sound On Sound / Juin 2010 / Paul Tingen

Entendre Johnny Cash chanter le standard de gospel Ain’t No Grave (can’t hold my body down) plus de six ans après sa mort est une expérience saisissante, même pour ceux qui n’ont jamais connu l’homme personnellement. Alors pour ceux qui l’ont connu et qui ont travaillé avec lui, l’effet était encore plus fort. David R Ferguson, l’un des ingénieurs du son les plus respectés de Nashville et collaborateur de longue date du chanteur, était l’ingénieur du son et le mixeur principal du sixième volet de la série American Recordings produite par Rick Rubin, American VI : Ain’t No Grave. L’ingénieur du son se souvient : « John était parti et il était là, en train de nous chanter « Aucune tombe ne pourra retenir mon corps ». Quand nous avons commencé à mixer cette chanson, tout le monde sur le projet avait littéralement la chair de poule sur les bras. C’était vraiment incroyable.  »

Les sessions de mixage ont eu lieu au printemps 2006, au studio de Rick Rubin à Los Angeles (l’Akademie Mathematique Of Philosophical Sound Research). Elles ont conclu plusieurs mois de sessions d’enregistrement et de mixage, au cours desquelles toute une équipe de techniciens et de musiciens a travaillé pour créer un écrin à un ensemble d’enregistrements vocaux de Cash. Ces enregistrements avaient été réalisés à Nashville par Ferguson entre mai 2003 et la mort de Cash en septembre de la même année. Cash avait 71 ans et avait reçu un diagnostic de dystonie neurovégétative quelques années plus tôt. La maladie l’avait laissé confiné à la maison et, pour couronner le tout, en mai 2003, son épouse et partenaire de 35 ans, June Carter Cash, était décédée. Au cours des quatre mois qui lui restaient, Cash était en deuil et, sa santé se détériorant, il savait que son temps était limité.

Au cours de ses dernières années, Cash avait trouvé une certaine forme de réconfort dans le fait d’enregistrer, et aussi, vraisemblablement, dans le statut d’icône qu’il avait atteint dans les années 90. Après la mort de sa femme, sa situation est devenue vraiment désespérée et il a redoublé d’efforts en studio, enregistrant les voix des chansons publiées à titre posthume sur American V : A Hundred Highways (2006) et sur American VI : Ain’t No Grave (2010).

Ferguson: « Au cours des derniers mois de sa vie, Johnny enregistrait beaucoup. C’était presque une chose quotidienne. Johnny est tombé malade, puis sa santé s’est un peu améliorée, et il semblait que jouer et chanter était la seule chose qui lui faisait oublier tout ça. Ses mains ne fonctionnaient plus très bien – il ne pouvait pas sentir ses doigts au cours de ces derniers mois – et ça lui était insupportable tellement il voulait jouer de la guitare. Mais il ne pouvait tout simplement pas. Il a joué un peu de guitare sur la dernière piste de l’album, Aloha Oe, mais à part ça, nous nous sommes concentrés sur l’enregistrement de sa voix. Il y a deux pistes sur American VI qui sont juste Johnny et sa guitare, A Satisfied Mind et Cool Water, et je les avais enregistrés pendant la période American III : Solitary Man (2000). Rick a estimé que ces deux chansons étaient vraiment spéciales et il a attendu le bon moment pour les sortir. C’est un très grand producteur et il ne sort des choses que quand il sent que le moment est venu. En fait, quand American V est sorti, j’ai été surpris par ses choix de pistes, parce que je pensais qu’il y aurait Ain’t No Grave et Redemption Day. ”

 

Les enregistrements de Nashville (2003)

Photo de 1988 : De gauche à droite, Jack Clement (le joueur de Slide sur Aloha Oe), Johnny Cash, Roy Acuff et le jeune ingénieur du son David R Fergusson

Ain’t No Grave et Redemption Day de Sheryl Crow sont sans doute les titres les plus remarquables d’American VI, ce qui est probablement la raison pour laquelle Rubin les a retenus pour le dernier disque. Mais peut être que Rubin a surtout estimé que la chanson Ain’t No Grave n’était pas tout à fait terminée : comme nous le verrons, le producteur a retravaillé le mix final de 2006 de Ferguson, en ajoutant plusieurs années après les sons très caractéristiques de chaines, de bruits de pas et de banjo. Ces derniers ajouts ont été la conclusion d’un long voyage pour les morceaux d’American V et VI, aussi simples, intimes et spontanés qu’ils puissent paraître. Au départ, de simples enregistrements en petit comité à Nashville et à l’arrivée un vaste processus de post-production à Los Angeles.

« Après la mort de June, John a brièvement travaillé avec leur fils John Carter Cash sur un album hommage à la famille Carter, mais peu de temps après, nous sommes revenus aux American Recordings. Il était difficile pour John de se déplacer, alors nous avons apporté le matériel d’enregistrement jusqu’à lui. Il pouvait décider qu’il était plus facile d’enregistrer dans la salle ronde de sa maison donnant sur le lac, ou plutôt chez sa mère de l’autre côté de la rue (où nous avons enregistré Aloha Oe), ou encore dans le studio de John Carter Cash (Cash Cabin Studios). Tout ces endroits étaient à quelques centaines de mètres les uns des autres. Je mettais en place l’équipement, et John ou moi appelions ses musiciens préférés et nous enregistrions. Rick est venu pour une de ces sessions, et ça a vraiment illuminé l’esprit de Johnny. Il y avait un grand respect mutuel entre eux. »

Un autre aspect surprenant des enregistrements pour American V et VI est que, à part la voix de Cash, très peu des enregistrements de Nashville ont été gardés sur les masters finaux. « Le but des enregistrements de Nashville était d’obtenir la voix de Johnny, la tonalité et le tempo. Rick aime avoir la main sur les morceaux, donc nous avons ensuite emmené les enregistrements à Los Angeles où Rick a réuni son propre groupe. Nous avons changé si radicalement le groove de chaque chanson que les prises instrumentales originales ne fonctionnaient plus. Le processus de Nashville était de se concentrer sur l’enregistrement du chant de Johnny avec des musiciens qu’il aimait. Quelques instrumentaux restent sur les albums finaux, comme la guitare de Pat McLaughlin et la guitare slide de Jack Clement sur ‘Aloha Oe’ : le jeu original était très intime, et de toute façon on n’efface pas une prise de Jack Clement ! À Los Angeles, nous avons ensuite ajouté quelques éléments aux pistes instrumentales originales de cette chanson.  »

Cash chantait très doucement et préférait être dans la pièce avec ses musiciens de Nashville; cela a mis à rude épreuve les compétences de Ferguson en tant qu’ingénieur du son. « J’avais besoin d’une séparation suffisante entre la voix de Johnny et les musiciens, et la meilleure façon d’y arriver, c’est d’utiliser des microphones proches et des instruments jouant doucement – il n’y a pas de batterie sur cet album, ce qui rendait ça beaucoup plus facile. Parfois, nous enregistrions le groupe d’abord et il enregistrait sa voix dans un second temps, mais ce n’était pas très fréquent. Johnny avait sa propre cabine dans le studio, mais il ne voulait pas utiliser d’écouteurs, il voulait entendre les vrais instruments et il voulait vraiment être au milieu d’eux. Il chantait très doucement, à peine un chuchotement, alors j’ai rapproché son micro au maximum et j’ai fait la même chose pour tout le monde, j’ai installé de bons paravents et j’ai prié ! De nos jours, avec la nouvelle technologie, vous pouvez très facilement effacer tous les silences entre les paroles, et si vous ne changez pas le tempo plus tard, la repisse ambiante disparaîtra en quelque sorte. »

Toutes les sessions de Nashville de 2003 ont été enregistrées sur Pro Tools, à 24 bits / 48 kHz, à l’aide de micros et de préamplis de choix. « J’ai utilisé un Neumann U67 sur la voix de Johnny pour la plupart des chansons, dans certains cas un U87, et parfois un AKG 414. Cela dépendait de la pièce dans laquelle nous enregistrions. Le micro passait ensuite par un préampli micro Urei 6176, puis directement dans Pro Tools. C’était tout. Je n’ai pas utilisé de limiteurs ou de compresseurs. Dans le passé, j’avais aussi parfois enregistré Johnny chez lui en Jamaïque, où j’enregistrais sur un Roland 2480 et utilisais les mêmes micros et préamplis, mais je ne suis pas sûr de ce qui a été gardé de ces enregistrements. »

 

Les enregistrements de Los Angeles (2005)

De gauche à droite : Matt Sweeney, Mike Campbell, Benmont Tench, Rick Rubin et Dan Leffler.

Deux ans après la mort de Cash, Rubin a décidé de travailler sur les sessions de 2003 pour la sortie de ce qui allait devenir les albums American V et VI. Fin 2005, Ferguson s’est donc rendu au studio de Rick Rubin, où il a rejoint une vraie petite équipe. Rubin avait invité un groupe composé de joueurs renommés comme les guitaristes Mike Campbell (Tom Petty & the Heartbreakers), Smokey Hormel (Beck, Tom Waits) et Matt Sweeney (Dixie Chicks, Neil Diamond), ainsi que le claviériste Benmont Tench (Heartbreakers, U2, Dylan) dans le studio, et enfin le guitariste / claviériste Jonny Polonsky venant à l’occasion pour y ajouter ses idées. Le groupe d’ingénieurs du son présents comprenait Greg Fidelman, Dan Leffler, Phillip Broussard et Paul Fig.

Ferguson: « Beaucoup de gens sont impliqués dans la création des disques de Rick Rubin, donc je ne veux pas agir comme si j’étais le grand héros. J’étais l’ingénieur principal et le mixeur, mais cela ne veut pas dire grand-chose. Il y avait vraiment des supers ingénieurs sur cet album, des gars qui ont beaucoup travaillé pour Rick dans le passé. Dan Leffler est fantastique, tout comme Philip Broussard, et Greg Fidelman est un ingénieur et mixeur de classe mondiale. Il y avait tellement de mix à faire sur ces deux derniers disques, et nous travaillions sur le projet depuis si longtemps, que nous nous sommes retrouvés dans un temps critique vers la fin, et avons pris un autre studio où Greg a mixé quelques morceaux. »

« Nous avions le groupe en cercle dans la même pièce, tandis que le B3 de Benmont était dans le couloir et sa Leslie dans le garage, donc ils étaient isolés et nous avons pu avoir un très bon son. Jonny Polonsky n’était pas là, il a enregistré a posteriori. Nous avons commencé par un clic et la voix de Johnny dans leurs casques, et Rick assis derrière sa console Neve, guidant le groupe, sur le genre de sentiment ou d’humeur qu’il cherchait. Nous avons ensuite fait beaucoup de prises différentes. L’une des raisons pour lesquelles ces enregistrements ont été si longs à faire c’est qu’il fallait ensuite écouter chaque note de chaque prise, choisir les meilleurs morceaux et les compiler. C’était très chronophage et parfois on s’y perdait. Finalement, lorsque nous avons fini toute l’édition, nous avons consolidé les pistes pour nous assurer que rien ne se déplaçait accidentellement. C’est la raison pour laquelle la fenêtre d’édition de Pro Tools pour Ain’t No Grave a l’air si bien rangée ! ”

La prise de son

Cette capture d’écran de Pro Tools montre toutes les pistes qui ont été utilisées dans le mix de la chanson Ain’t No Grave, à l’exception des overdubs de dernière minute de Rick Rubin. 19 pistes d’instruments, une piste de voix, et une piste SMPTE.

Ferguson reprend la session de haut en bas, expliquant qui est quoi et comment cela a été enregistré. « La piste de clic et certaines des pistes de Nashville sont en fait au-dessus de la piste vocale en haut, mais vous ne pouvez pas les voir sur cette capture d’écran. La piste vocale elle-même est appelée » New Vocal RR « car il s’agit d’un nouveau montage vocal, et RR signifie qu’il a l’approbation de Rick Rubin. Une grande partie du montage (vocal et autres) a été fait par d’autres ingénieurs, comme Greg et Dan dans une autre pièce. Le terme de montage n’est pas un mot assez noble, car il y a un vrai art à faire ça, et Greg est un des meilleurs au monde. Les voix de Johnny ont été assemblées à partir de deux ou trois prises, et Greg était toujours en train de monter et, si nécessaire, de « tuner » les voix même lorsque j’étais déjà en train de mixer. Il y a pu avoir de minuscules problèmes de timing, et il fallait alors entrer dans la forme d’onde, mettre en évidence les choses et donner quelques petits coups, manuellement, au feeling. En faisant en sorte que les choses ne sonnent pas robotiques. »

« La piste en dessous du chant est la guitare acoustique de Smokey Hormel. J’ai enregistré toutes les guitares acoustiques avec des microphones Neumann KM64, et parfois un KM84. Je m’en souviens parce que j’utilise ces microphones tout le temps ! Les micros passaient directement par la Neve 8068 de Rick, qui sonnait très bien. J’ai tout enregistré droit, sans effet ni traitement à la prise. Vous placez les micros pour obtenir le son que vous voulez, point. Vous aurez tout le loisir de le soigner par la suite. En dessous de la piste de guitare, il y a deux très bonnes parties de clavier jouées de Jonny Polonsky sur les orgues Conn et Farfisa. Rick voulait quelque chose dans la partie instrumentale, et Jonny a rajouté ces parties solos après que le groupe ait enregistré les rythmiques. J’ai enregistré les orgues avec les Neumann KM184 de Rick, toujours à travers la console.  »

La piste suivante peut faire soulever quelques sourcils, et Ferguson rigole: « Oui, c’est un sifflement de bande. Laissez-moi vous expliquer ! De temps en temps j’utilise ça. C’est subliminal en analogique, et cela aide vos oreilles à s’habituer au numérique. Le sifflement de la bande aide vraiment à masquer les montages. De plus, lorsque quelqu’un arrête de chanter, l’air autour de lui change. Avec Johnny chantant si doucement, nous avons laissé le son de la pièce où nous pouvions, mais dans certains cas, quand la repisse était gênante, nous avons dû insérer du silence lorsqu’il ne chantait pas. Le sifflement de la bande aide à masquer ces choses. C’est l’un de mes trucs, et je pense que la plupart des morceaux de l’album ont un sifflement de bande. Cela peut sembler être une connerie, mais ça semble fonctionner ! Cela enlève vraiment le côté abrupt de certaines éditions. »

Le groupe au travail : Smokey Hormel devant, et de gauche à droite : Mike Campbell, Johnny Polonsky et Matt Sweeney

 

« Au-dessous du sifflement de la bande se trouve une piste de basse slide, qui a été jouée par Smokey sur une basse en forme de guitare acoustique – les gars ont beaucoup changé d’instrument. J’ai enregistré cela avec le KM64 et encore via la Neve, pas de compression. Smokey a fait preuve de génie en ramenant cette partie, car cela rend le morceau encore un peu plus effrayant. Nous avons ensuite réamplifié la partie de basse slide via un vieux Fender Pro Bassman des années 50, que j’ai enregistré avec un SM57. Sur les gros amplis de guitare, j’utilise toujours ce micro. J’ai couché la basse réamplifiée sur une piste séparée, en dessous, et entre les deux se trouve une piste SMPTE pour l’automatisation Massenburg Flying Faders de la console Neve. En dessous, il y a deux pistes de piano, attribués à Jonny, mais ça pourrait être une erreur, je pense que c’est Benmont qui a joué ça. Le piano à queue de Rick est à l’étage, et j’ai utilisé deux micros à ruban Royer R121 dessus, encore une fois directement dans le Neve. »

« J’ai ajouté les cloches. Il y a ces cloches de cathédrale dans le studio de Rick, six pieds de haut et six pieds de large, et Dan Leffler et moi les avons essayées et enregistrées avec un U67 – lors de l’enregistrement des cloches de cathédrale, vous devez utiliser un micro avec une large directivité ! La guitare électrique a été jouée par Matt Sweeney, et elle passait probablement par le même ampli Fender Bassman et encore le SM57. Matt a également joué un dobro National Electric, que j’ai à nouveau enregistré via le Bassman, et avec deux SM57 pour obtenir une partie stéréo. Ensuite, il y a l’acoustique de Jonny, qui est une guitare à 12 cordes, enregistrée avec un KM64 ou 84. Vous pouvez voir que j’ai dupliqué cette partie ci-dessous, ce que je fais parfois pour obtenir une partie en stéréo. Je duplique et je décale l’une des parties de sept millisecondes, puis je les panoramique. Pourquoi sept ? Je ne sais pas, cela semble la bonne durée pour moi. Ça suffit pour donner une sensation de stéréo sans que cela ressemble à un delay, et aussi assez pour éviter les problèmes de phase. Sept millisecondes, ça semble fonctionner pour tous les instruments. C’est probablement un non-sens de «stéréoïser» quelque chose de cette façon, mais pour moi il n’y a pas de bien ou de mal. La fin justifie les moyens. En dessous se trouvent deux pistes de hautbois Chamberlin, enregistrées en DI dans la console et regroupées sur une piste en dessous; et enfin un Wurlitzer, joué via le même Bassman pour obtenir une légère distorsion, et enregistré avec le même SM57. Tout en bas se trouve le mixage stéréo numéro neuf, qui est le dernier que nous ayons fait, mais pas nécessairement celui qui a été utilisé. »

 

Le Mixage (2006)

Ferguson a du mal à estimer le temps passé à travailler sur Ain’t No Grave, car ils ont parfois travaillé sur plusieurs chansons en même temps, mais il estime ça à environ 10 jours pour l’enregistrement et l’édition et deux ou trois jours pour le mixage.

« Je ne peux pas dire exactement. Mais cela a pris beaucoup de temps. Vous pouvez passer cinq ou six heures à enregistrer de la musique, puis vous ajoutez des overdubs, puis vous vous amusez avec, vous les triturez, et progressivement ça devient une vraie peinture. Le problème était que Rick devait tout approuver et il devait aussi entendre chacun des différents mix que nous tentions, mais il n’était pas toujours là. Parfois, il était parti produire Linkin Park ou les Red Hot Chili Peppers. Il écoutait notre travail soit dans sa pièce à l’étage, soit dans sa maison à Malibu. Dans ce cas-là, soit je me présentais avec un CD, soit je lui envoyais le morceau via Internet en pleine résolution, et il l’écoutait sur ses enceintes à 50 000 $! Bien sûr, Rick devait également arriver à se mettre dans le bon état d’esprit pour pouvoir juger quelque chose d’aussi intime. Donc, parfois, nous attendions son approbation, et nous pouvions travailler sur autre chose en attendant. Rick a une très bonne mémoire, et il peut dire : « Je me souviens qu’il se passait quelque chose de différent dans cette chanson à ce moment-là », alors dans ces cas-là, tu reviens en arrière et tu te rends compte qu’il a raison. Il y avait donc beaucoup de va-et-vient. Mais généralement, lorsque Rick dit qu’un mix est terminé, il est terminé. Vous n’avez plus à vous en soucier et vous pouvez passer à une autre chanson. »

« J’ai mixé sur sa Neve 8068 – 32 voies, parce que je préfère mixer sur une console, et parce que c’est comme ça que le studio de Rick est configuré. Je mixerais sur un ordinateur si je devais, mais la Neve de Rick sonne super bien, et quand j’en ai l’occasion je préfère rester loin des plug-ins et utiliser les vraies machines. J’utilise des plug-ins de temps en temps, et je les utilise dans mon propre studio à Nashville, le Butcher Shoppe, parce que je n’ai pas beaucoup de périphériques. Mais si vous pouvez vous payer la vraie machine, utilisez-la. Certains plug-ins font des choses que les vraies machines ne peuvent pas, comme par exemple faire des égalisations très précises, mais en même temps on se retrouve vite avec des choses un peu floues ou à récupérer des sifflantes avec des égaliseurs et des limiteurs en plug-in. Il n’y a rien de tel qu’un vrai limiteur, et quand il fait son travail correctement, vous avez l’impression qu’il n’y a aucun effet alors qu’il est bien là. Les limiteurs sont comme les voitures, si vous y mettez le prix, vous aurez quelque chose de bien. »

« Les morceaux des American Recordings semblent très simples, mais les mixer a été beaucoup plus compliqué que de simplement monter les faders. Normalement, lorsque je mixe, je commence par la batterie, puis j’ajoute la basse, et ainsi de suite, et globalement le truc qui vous guide c’est le groove. Souvent, lorsque vous êtes en studio pour enregistrer un groupe, le groove est là mais vous revenez une semaine plus tard, vous rouvrez la session et c’est parfois difficile de retrouver ce groove, ce feeling rythmique. Quand j’ai attaqué les mix des American V et VI, je suis donc parti de ce qui pouvait se rapprocher le plus d’une section rythmique, donnant ce groove, généralement les guitares. Mais quand j’ai commencé à faire ces mix, Rick n’arrêtait pas de me dire : « Monte la voix, monte la voix ». Il y a plusieurs zones dans lesquelles on peut placer la voix dans un mix. Il y a une zone arrière et amincie qui fait sonner le groupe plus fort, et puis une zone avant qui va mettre la voix en valeur mais qui rend le son du groupe un peu plus doux. L’enjeu de ces morceaux était clairement la voix, c’est elle qui est au centre de tout. Et dans cette logique, la voix de Johnny Cash s’est retrouvée très forte et très devant sur tout l’album.  »

 

Fergusson et Johnny Cash (2002)

 

La chaîne de traitement sur la voix John a été décisive. Sa voix n’était vraiment pas forte, donc j’ai dû la compresser pour la rendre aussi forte que possible, et pour donner l’impression qu’il chantait plus que dans la réalité. J’ai fait passer sa voix à travers un limiteur Fairchild 670 puis à travers une EQ GML Massenburg puis à nouveau dans la console. Cela dépendait de la chanson, mais j’avais tendance à rentrer très fort dans le limiteur. Parfois, si j’entendais un effet de pompe avec un seul limiteur, je l’envoyais dans un deuxième et ça s’en allait. Sur les disques précédents, j’avais utilisé le limiteur RCA BA6A sur la voix de John, mais je suis tombé amoureux du Fairchild. De plus, le numérique n’est pas le support le plus chaud du monde, et j’essayais de réchauffer les choses autant que je pouvais. L’égalisation boostait un peu la zone autour des 4 kHz. Je me souviens que Rick a dit que ça devait être « plus clair mais pas plus clair » – ce que j’ai traduit par plus de médium-aigus, mais aucune amplification autour de 8 ou 10 kHz, car ça pouvait vraiment devenir moche. La plage 3/4/5k semblait faire sortir un peu plus les choses.

Faire en sorte que la voix de Johnny sonne bien était la chose la plus importante, et c’est seulement après cela que j’ai commencé à amener du groove avec les guitares acoustiques, puis les autres choses au fur et à mesure. La façon dont Rick crée des disques est de construire des choses, aussi loin que la dynamique nous le permet. Vous construisez quelque chose, vous le défaites et vous le reconstituez à nouveau. Nous avons essayé de créer une belle atmosphère pour cette chanson, et j’ai utilisé les égaliseurs de la console et des compresseurs [Universal Audio] 1176 sur probablement tous les instruments, et c’est à peu près tout. Il n’y a aucune réverb sur aucune des pistes. Chaque fois que j’ai essayé de mettre de la réverb sur un disque de Rick, il m’a dit « enlève-la ». J’ai eu du mal à m’habituer, mais cela a beaucoup de sens. Nous avons utilisé une seule fois une chambre de réverbération dans les Capitol Studios pour « The First Time I Ever Saw Your Face » [sur American IV: The Man Comes Around, 2002], mais c’est tout.

J’ai rendu les guitares acoustiques un peu plus brillantes, parce que les gars n’aimaient pas changer leurs cordes, et j’ai également creusé autour de 100 Hz, pour m’assurer que ça ne devenait pas bouillon. J’ai utilisé le plug-in Bomb Factory BF76 (émulation d’un 1176) sur la basse slide, ainsi qu’un limiteur Neve 33609, et je n’ai probablement pas utilisé la piste réampée.

Je pense que j’avais le même Neve 33609 stéréo sur les orgues Farfisa et Conn. J’ai utilisé ce limiteur Neve sur beaucoup d’instruments solos. J’avais aussi un plug-in Moogerfooger sur les cloches, car elles étaient si bien accordées que vous pouviez à peine les entendre. Un effet de phasing ajoutait un peu d’oscillation et vous pouviez les entendre un peu mieux. Quand j’ai mis les cloches dans le mix, le morceau a vraiment commencé à prendre cette atmosphère effrayante ! Je ne me souviens pas de tout ce que j’ai fait, car c’était il y a quelques années, mais il s’agissait principalement de bien faire cohabiter les instruments ensemble et je me souviens également que j’essayais d’égaliser sans mettre en solo. Parfois vous êtes obligé d’écouter une piste en solo, bien sûr, mais c’est une bonne idée d’égaliser un instrument dans son contexte musical plutôt qu’isolé. Si quelque chose sonne bien en solo, cela ne signifie pas forcément que ça va marcher avec le reste.

Pour finir, j’ai mixé sur une bande demi-pouce avec un Fairchild 670 sur le bus stéréo. Cela fonctionne vraiment bien, surtout pour les enregistrements un peu épurés. Mettre un limiteur sur le bus stéréo, réglé correctement, peut permettre d’aider vraiment le mix à sonner, sans que tout soit agglutiné. Au contraire, le son du groupe sera un peu remonté lorsque le chanteur ne chantera pas, ce qui permet d’avoir la voix très forte. Cela aide vraiment votre mix. Si le limiteur fonctionne bien, vous obtenez des transitions en douceur vraiment agréable, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’un Fairchild à 50 000 $ fonctionne vraiment très bien ! Nous reconvertissions ces mix immédiatement en numérique dans ProTools et nous gardions donc deux versions du mix, une sur bande et une dans ProTools. Pour éditer des mix différents ensemble, on envoyait à l’ingénieur mastering (Stephen Marcussen) les deux copies, avec les régions à garder notées sur la bande, pour qu’il sache exactement où éditer. Rick décidait ensuite quelle version utiliser, si les vieilles bandes d’un demi-pouce sonnaient mieux que les copies numériques. Le son sur bande change tout le temps, ça ne s’arrête jamais. Même après quelques semaines, le son peut sembler un peu plus flou. Nous faisons donc toujours une copie numérique au moment de l’impression d’un mixage sur demi-pouce.

 

Les derniers ajouts (2009)

A la fin de l’année 2009, Ferguson a reçu un appel de Rubin lui demandant de venir à Los Angeles et de ramener les mix de 2006, dans le but de sortir le dernier disque. « J’ai récupéré toutes les bandes et les ai emmenés dans la maison de Rick à Malibu. Quand je lui ai joué Ain’t No Grave, il a dit : « Ce n’est pas celui-là. Nous avons un meilleur mix que ça ! » Une fois encore il avait raison. Il est beaucoup moins impliqué que le preneur de son ou le mixeur : il garde du recul, ce qui signifie qu’il peut écouter sans penser au processus de création, ce qui est génial. Il travaillait avec les Avett Brothers à cette époque, et une fois que je lui ai retrouvé le mix qu’il voulait, lui et l’ingénieur Ryan Hewitt ont ajouté un banjo, des chaînes et des bruits de pas à mon mix de la chanson. Ce genre de chose n’est vraiment pas facile à faire, mais ils ont fait un excellent travail.  »

Ce dernier ajout fut donc l’éclair de génie qui a conclu ce long processus de création, étalé sur six ans et demi. Cela a grandement contribué aux frissons que donnent la chanson-titre de l’album et à ce sentiment de garder Johnny Cash vivant. Ce n’est effectivement pas une tombe qui le retiendra.

 

Traduction de l’article de Paul Tingen paru en juin 2010 dans Sound On Sound https://www.soundonsound.com/people/secrets-mix-engineers-david-r-ferguson

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’enregistrement des guitares acoustiques pour « Les Larmes d’Or » de Frédéric Bobin

Il y a mille et une façons d’enregistrer une guitare acoustique. Pour le dernier album de Frédéric Bobin, on a eu l’occasion d’essayer des techniques de prise de son assez différentes d’un morceau à un autre. Et comme on est consciencieux, on a pris des notes sur ce qu’on a fait au cours de sessions. Quelques expérimentations nous ont semblé intéressantes à partager. On fait le bilan calmement en se remémorant chaque instant.

Le disque « Les Larmes d’Or » est sorti en janvier 2018 et est en écoute intégrale ici : Les Larmes d’Or

 

La Maison de mon grand-père

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-GRANDPERE-all.mp3

Il y a deux pistes de guitares acoustiques dans ce morceau, l’une qui joue en rythmique, l’autre en picking. En règle générale, on aime bien essayer de diversifier au maximum les éléments entre une piste et une autre, pour favoriser naturellement une différentiation des deux guitares et éviter les effets de phasing. Pour être clair, plus on va modifier d’éléments entre les deux pistes (type de guitare, micro, préampli, convertisseur) et plus elles seront, en général, facile à mixer.

Ici c’est le contre exemple parfait de cette règle, la guitare rythmique et la guitare picking ont été enregistrées exactement de la même manière. Dans les deux cas, une Gibson J45, prise avec un Neumann U87, branché dans un préampli SSL. Simple et efficace ! Il y avait également deux autres micros (un statique plus lointain et un dynamique) mais on ne les a finalement pas utilisés au mixage.

Voici la guitare rythmique :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-GRANDPERE-guit1.mp3

Et voici la guitare picking (assez sévèrement coupée dans le bas du spectre) :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-GRANDPERE-guit2.mp3

Et pour finir les deux ensemble :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-GRANDPERE-guitares.mp3

 

Le dernier voyage de Sindbad

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SINDBAD-all.mp3

Il y a également deux guitares sur ce morceau. L’une principale, rythmique, qui tient le morceau du début à la fin, et une deuxième guitare qui intervient après le premier refrain, de manière mélodique pendant les couplets et rythmique sur les passages instrumentaux (pour laisser la place au slide et à l’harmonica). Si on écoute uniquement ces deux guitares, ça donne ça :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SINDBAD-guitares.mp3

Pour la guitare principale, on a choisit de faire une prise en stéréo, pour donner une image un peu plus large de l’instrument. On a choisi pour ça un couple de Schoeps Cmc6-Mk4, placé en X-Y, à proximité de la guitare, dans deux préamplis SSL. La technique X-Y a l’avantage dans ce genre de prise d’avoir une très bonne compatibilité mono. La guitare était une Gibson J45.

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SINDBAD-guit1.mp3

Pour la deuxième guitare (jouée sur une Taylor) on voulait un son qui tranche radicalement de la première. On a utilisé un AKG D12 (là encore bien coupé dans les graves) couplé à un préampli Neumann, ce qui donne une couleur très années 50, peu d’aigus, peu de graves qui se complète bien avec la première guitare beaucoup plus riche.

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SINDBAD-guit2.mp3

 

Les Larmes d’Or

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Pour cette chanson qui a donné le titre à l’album, on cherchait un caractère particulier, celui d’une ballade un peu ancienne et on a été attentif à chercher une couleur, un « grain » plutôt qu’une transparence ou une fidélité sonore, mais en gardant une belle richesse dans le son. La guitare principale est ici une Taylor jouée en arpèges, c’est elle qu’on a cherché à colorer, et il y a une seconde guitare, une Gibson, qui intervient en rythmique sur les refrains :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-Larmes-guitares.mp3

Pour la guitare principale, on a couplé un Neumann U87 (micro statique large membrane) avec AKG D12 (micro dynamique), les deux dans des préamplis Neve. Les deux micros étaient placés côte à côte, et on les a dans le mix, légèrement panés à gauches et à droite. Voici le résultat :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-Larmes-guit1.mp3

Et pour décomposer encore, voici les deux micros individuels. D’abord le Neumann U87 :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-Larmes-guit1U87.mp3

Et le vieil AKG D12 :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-Larmes-guit1D12.mp3

Pour la seconde guitare, on voulait quelque chose de très précis dans l’aigu et sur les attaques, comme le tic tac d’une horloge, on a choisi un Schoeps Cmc6-Mk4 dans un préampli SSL, mais surtout la guitare est jouée de manière très très douce au médiator.

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Le soir tombe

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SOIR-all.mp3

Dans ce dernier exemple, deux guitares acoustiques, l’une en rythmique, l’autre en picking. Pour la rythmique, on a utilisé une technique similaire à l’exemple précédent, en mélangeant le son d’un micro dynamique et d’un statique, légèrement panés à gauche et à droite. On écoute cette guitare prise par un vieil Electrovoice EV664 (dans un préampli Neumann) :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SOIR-guit1ev664.mp3

La même guitare enregistrée au même moment par un Schoeps Cmc6-Mk4 (dans un préampli SSL) :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SOIR-guit1schoeps.mp3

Et le mélange des deux qui nous a semblé intéressant :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SOIR-guit1.mp3

Pour la deuxième guitare, on a utilisé un U87 (dans un préampli Neve) :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SOIR-guit2U87.mp3

Et voici donc le résultat des deux guitares ensemble :

http://paon-record.com/wp-content/uploads/2018/10/PAON-SOIR-guitares.mp3

 

Voilà on espère que cet article vous aura intéressé ! On a essayé à la fois d’être précis sans être trop technique.

Si vous avez des questions / commentaires, n’hésitez pas.


Les références exactes des préamplis utilisés sont : SSL X-Logic Alpha VHD, Neve-Amek DMCL et Neumann V476.

Les deux guitares qui ont été utilisées sont : une Taylor GS8 et une Gibson J45

Décryptage #1 : Tisiphone – Alcaline (Bashung cover)

 

 

On a écouté Alcaline, que le trio lyonnais Tisiphone vient de sortir (reprise du morceau d’Alain Bashung de 1989). Comme ça sonnait bien, on a eu envie de leur poser pleins de questions du genre pourquoi, comment, avec qui, dans quel studio ?

 

 

Votre morceau Alcaline se retrouve en « Bonus Track » de la compil Made in France du label Unknown Pleasures Records. Racontez nous un peu l’histoire de cette reprise…

Pedro de Unknow Pleasures Records avait lancé un appel proposant aux artistes de reprendre une certaine vague de chanteurs et groupes français. Il nous a contacté avec un « salut les jeunes », nous invitant à participer. Ca nous a tout de suite parlé l’idée de faire une reprise, et ça faisait un moment qu’on se demandait par qui commencer. Clara avait des envies sur Rowland S. Howard, Léo sur Gala….. Au final on s’est proposé avec les reprises d’Alcaline et de Volontaire. On a opté assez vite pour Alcaline, un peu plus éloignée de notre univers habituel, ce qui pouvait nous amener ailleurs et nous intéressait.

 

Ou en êtes vous avec Tisiphone, au moment ou vous décidez d’enregistrer « Alcaline » ?

On a sorti un premier L.P. en janvier 2016, on a fait pas mal de concerts avec ce set depuis décembre 2014 dont de belles premières parties comme Jeanne Added et Motorama. Au moment de la proposition de la reprise d’Alcaline, on est plutôt dans une phase de composition sur des nouveaux morceaux. On explore des nouvelles possibilités sonores, des nouvelles configurations, notamment l’ajout de la boîte à rythme.

 

Qui joue quoi sur ce morceau ?

Clara chante. Léonard joue du clavier et de la guitare. Suzanne joue de la basse, du clavier et gère la programmation de la boite à rythme.

 

Par rapport aux autres morceaux que j’ai pu écouter, Alcaline est très apaisée, moins tribale (à l’exception de l’explosion vers les deux tiers). Est ce que de se plonger dans l’univers d’un autre vous a donné l’envie d’explorer d’autres pistes ?

On a toujours été attiré par les nappes un peu «plastiques» et planantes, et des titres comme « Empty streets » ou « Spiritual object » de notre premier L.P sont finalement assez proches au niveau de l’ambiance. Ce qui change radicalement notre son c’est que Clara chante en français, qu’elle n’utilise pas ses mains pour les percussions donc son énergie est uniquement vocale, et que nous avons tranché pour une rythmique uniquement électronique. Seulement quelques tambours sont utilisés dans la partie un peu « délire ».

 

Vous êtes plusieurs chanteurs dans le groupe si je ne m’abuse. Comment s’est fait le choix de qui allait chanter sur ce titre ?

Clara a pris le rôle de chant lead dès la formation du groupe, c’est elle qui a écrit les textes sur notre première époque de composition. Suzanne prend du plaisir à la backer et de mon côté quelques interventions me suffisaient. Pour ce qui est à venir, le français prend plus de place, et j’assume l’envie d’exprimer oralement, de dire des trucs, comme dans notre dernier clip « Heureux je suis ». Clara avait envie de chanter Alcaline et on trouvait ça beau que ce texte soit dit par une femme.

 

Comment s’est passé la phase de création ? L’un de vous a fait une maquette d’abord ou bien cela s’est fait lors de répètes tous les trois ?

Nous composons la plus part du temps à trois. De temps en temps quelqu’un amène une idée, sinon, les bases des chansons sortent d’impros… Pour Alcaline, Léo est parti sur la grille originale du premier couplet mais avec un son un peu plus planant et Suzanne a créé une rythmique minimale. L’arrangement est venu au fur et à mesure que l’on s’appropriait la chanson. Sinon, on a gardé la structure couplet-refrain-pont de Bashung.

 

 

Pouvez vous décrire un peu les choix de production et d’arrangements ?

Fred Roux et Robin Winckler, qui ont fait la prise de son et le mixage ont bien senti l’élan et la couleur qu’on cherchait sur cette chanson, et étaient de très bon conseil. Clara imaginait un fantôme chantant avec elle et Fred avait envie d’utiliser plusieurs versions chant pour donner un côté produit, bizarre à la voix et l’intention de Clara. Le fait de sortir cette chanson pour un enregistrement seulement (dans un premier temps en tous cas) nous a aussi permis de chercher autour de la richesse qu’offrait le « re-re », on a pu enregistrer quelques discrètes parties de violon, enrichir l’arrangement en jouant chacun plusieurs instruments sur les mêmes parties, ce qui ne serait pas forcément possible en live. La reprise et l’enregistrement sont un travail bien différent de ce qu’on a l’habitude de faire qui nous a beaucoup intéressé et fait progressé.

 

Comment s’est passé l’enregistrement ? 

On a enregistré à « La station Mir », jeune local de répétition et studio d’enregistrement lyonnais, ouvert depuis septembre 2016 où nous sommes résidents à l’année. Robin, qui fait partie de l’équipe à l’initiative du studio, nous a proposé de faire un enregistrement pile poil au moment où Alcaline devait sortir. Il a fait les prises de son et Fred s’est rajouté pour le mixage. On est super content de la collaboration, on était du coup presque à la maison, mais avec des conditions pros. On a dû faire deux après midi pour le record de la musique et deux après midi pour le chant… C’était un exercice nouveau pour Clara de chanter en français et ce texte.

 

Comment s’est passé le mixage ? Est ce que les partis pris de son étaient déjà bien décidés à la prise ou bien est ce que le mixage a emmené le morceau ailleurs ?

On a laissé les copains assez libres pour ce qui est du mixage, ils nous ont fait beaucoup de propositions très chouettes ils ont vraiment participé à l’arrangement . Comme c’était au moment de Noël, on a suivi ça de loin une fois que le chant était posé et c’est ce qui fait qu’on n’est pas sur la compil physique, on n’était pas très précis sur la deadline à laquelle devait sortir Alcaline, heureusement Pedro nous a laissé un peu de temps et nous a proposé de la sortir en bonus sur la version digitale, ce qui nous a permis de revenir fignoler avec Robin et Fred sur la fin, et de la faire masteriser chez Altho.

 

Et maintenant vous en êtes ou ?

On vient de faire en février la première partie de Frustration à Grenoble… C’était fou de les rencontrer et de partager le plateau avec eux. Pour fin février, une petite tournée suisse et pour la suite : pas mal de dates à venir…Et en parallèle, on continue d’expérimenter, de chercher notre identité pour nos prochaines compositions, on aimerait sortir un nouveau cd pour fin 2017.

 

Plus d’infos sur Tisiphone :

http://www.tisiphone-faces.com/

https://tisiphone.bandcamp.com/

https://www.facebook.com/Tisiphonemusic/

A capella #2 : Elvis, Bowie, Freddie et Bob

 

 

Exit les guitares saturées, les roulements de caisses claires virils et les solos de trompette interminables, aujourd’hui on n’écoute que la voix, toute nue, dans une tonne de réverb. Alors plateau télé devant Apollo 11 en tête à tête avec Bowie, concert privé d’Elvis au bord de la piscine ou bien oratorio perso de Freddie Mercury…  à vous de choisir.

 

Freddie Mercury

Même si la chanson fait apparemment référence à la victoire de l’équipe d’Angleterre à la coupe du monde de football de 1966, We are the Champions date bien de 1977, face B du single We will rock you. Freddie a 31 ans et est au sommet de sa forme, le morceau réduit à la piste voix est bluffant, frissons garantis.

 

 

Elvis Presley

Issue du film Jailhouse Rock, la chanson Baby I don’t care est écrite et composée par le prolifique duo Leiber & Stoller (Hound Dog, Jailhouse Rock, Stand by me, Is that all there is?…). Enregistrée en mai 1957, c’est pour la petite histoire le seul morceau où le King joue de la basse électrique. La piste de voix se suffit à elle même… et la vidéo ramène une petite touche exotique de très bon goût.

 

David Bowie

Sortie le 11 juillet 1969, soit une dizaine de jours avant que l’Homme ne fasse ses premiers pas sur la Lune, Space Oddity sera un des premiers grands succès de David Bowie. Un an après la sortie de 2001 : Odyssée de l’espace de Kubrick, le morceau raconte les déboires du Major Tom, jeune astronaute envoyé dans l’espace. C’est la première chanson dans laquelle il utilise cette thématique, qu’il réemploiera quelques années plus tard dans Ziggy Stardust.

 

Bob Marley

Sorti en 1978, Is this Love deviendra l’un des titres les plus connus du chanteur Jamaïcain. En n’écoutant que la piste voix, on se rend compte à quel point l’ami Bob chantait avec subtilité et émotion. On notera aussi l’importance du travail des choeurs et la dose de réverb bien assumée.

 

 

Enregistrez n’importe où ! #1 Quelques disques cultes

 

 

Premier volet d’un dossier qui nous intéresse particulièrement : l’enregistrement musical en dehors des studios. Que ce soit par manque de moyens, par envie d’essayer autre chose, par simple commodité ou par désir de trouver le lieu parfait pour la prise parfaite, les exemples d’albums réalisés dans des lieux incongrus ne manquent pas. C’est parti pour une sélection de morceaux « home made » qui n’auraient surement pas été les mêmes si ils avaient été enregistrés en studio.

 

Atlantic Records

1952. Le label Atlantic Records enregistre tous ses disques dans ses locaux au 234 West 56th Street, au dernier étage d’un très vieil immeuble, dans une pièce de 50 m2 servant de bureau à Ahmet Ertegün et Jerry Wexler. Ce dernier explique « Nos bureaux se touchaient. Quand il y avait une session d’enregistrement, nous les poussions le long d’un mur et les mettions l’un sur l’autre – ce qui nous a valu des décennies de mal au dos – et Tom Dowd installait des chaises pliantes et des chaises de camping, puis il plaçait les micros. » Ils vont y enregistrer des moments magiques, comme les premières sessions de Ray Charles.

Ray Charles – Mess Around – 1953

 

Automne 1954. Ray Charles appelle les deux jeunes boss d’Atlantic pour leur dire de le rejoindre illico à Altanta pour écouter ses nouvelles chansons. Lorsqu’ils pénètrent dans le club du centre-ville, le Royal Peacock, le groupe entame les premières mesures de I got a woman, Wexler et Ertegün sont conquis. Il faut vite enregistrer. Le seul endroit ressemblant à un studio d’enregistrement est une station de radio, WGST dans laquelle ils vont se débrouiller pour enregistrer le lendemain, en s’arrêtant de jouer au moment des infos et des publicités. Des conditions sommaires mais suffisantes pour graver un morceau qui aura un impact énorme sur le public noir comme sur le public blanc, chose rare à l’époque, en fusionnant blues et gospel (musique profane et musique sacrée).

Ray Charles – I got a woman – 1954

 

The Rolling Stones

1970. Quatre mois après une courte session improvisée en Alabama au Muscle Shoals Sound Studio (trois jours durant lesquels ils poseront sur bande les bases de Brown Sugar, Wild Horses et You Gotta Move), les Rolling Stones se retrouvent dans le manoir de Mick Jagger, Stargroves, pour enregistrer la majeure partie de l’album Sticky Fingers. A l’aide du Rolling Stones Mobile Studio, un camion-régie imaginé par Ian Stewart avec à son bord console de mixage et enregistreur à bande, ils s’essaient à un nouvel environnement pour enregistrer de la musique.

Rolling Stones – Can’t you hear me knoking – 1971

Ils récidivent un an plus tard durant l’été 71 et enregistrent Exile on Main St. dans le sous-sol de la villa louée par Keith Richards sur la Côte d’Azur, à Villefranche-sur-Mer. Des prises additionnelles (notamment les voix) seront faites quelques mois plus tard au Sunset Sound Recorders à Los Angeles.

 

Radiohead

1996. Radiohead fait appel à Nigel Godrich pour enregistrer leur troisième album, OK Computer. A cette époque le guitariste Johnny Greenwood explique : « Très souvent, quand tu rentres dans un studio d’enregistrement, ça sent l’odeur de Whitesnake ou du groupe qui est passé avant toi. Il y a des disques d’or partout. Ce n’est pas un endroit qui incite particulièrement à la créativité. » Ils décident donc de donner une grosse enveloppe à Godrich pour acheter le matériel d’enregistrement qu’il estime nécessaire. Les sessions commencent dans un hangar désaffecté de l’Oxfordshire, puis le groupe s’isole pendant trois mois dans un vieux manoir près de Bath, le St. Catherine’s Court. La plupart des prises ont été faites dans la salle de bal, la régie étant disposée dans la bibliothèque. Pour Exit music (for a film), le chant fut enregistré dans le froid glacial du hall d’entrée, la batterie dans la chambre d’enfants, au milieu des jouets et des peluches. Dans cet endroit totalement isolé, le temps s’était arrêté : le groupe jouait parfois au croquet au beau milieu de la nuit et commençait à enregistrer au petit matin.

Radiohead – Exit music (for a film) – 1997

 

Foo fighters

1999. Les Foo Fighters, alors sans guitariste, enregistrent en trio leur troisième album There is nothing left to lose dans le sous-sol de la maison de Dave Grohl en Virginie. Pour le suivant, One by one, le groupe passe quatre mois aux Conway Studios à Los Angeles pour finalement tout jeter à la poubelle. Après une longue pause, ils retournent en Virginie pendant deux semaines et ré-enregistrent tout. Dave Grohl résume : « All my life(première version) a couté 1 million de dollar et est à chier. All my life (deuxième version) a été fait dans ma cave en 30 minutes et c’est devenu the biggest fucking song que le groupe ai jamais eu ». Le groupe renouvellera l’expérience en 2011 pour Wasting Lights, enregistré en Californie, encore une fois chez Dave Grohl, dans son garage et son salon, par Butch Vig et sur bandes.

Foo Fighters – All my life – 2011

 

Bill Ryder-Jones

2015. Après de nombreuses collaborations avec Alex Turner (Arctic Monkeys, The last shadow puppet…), Bill Ryder-Jones a besoin de faire le bilan et de se retrouver. Il écrit et enregistre West Kirby County Primary  son troisième album, dans sa chambre d’enfant, dans la maison de sa mère à West Kirby, le quartier où il a grandi, sur la côte anglaise, à deux pas de Liverpool. Un voyage introspectif et intimiste. Des prises additionnelles seront faites aux Parr St. Studios à Liverpool.

Bill Ryder-Jones – Tell me you don’t love me watching – 2015

 

To be continued…

On aurait pu citer Nebraska de Bruce Springsteen, enregistré à la maison avec un 4-pistes, ou une bonne partie de la discographie de Daniel Johnston, enregistré par ses soins dans le sous-sol de ses parents. Du coté français, les exemples sont nombreux également : A la belle de Mai de Renaud, Le baptême de Mathieu Chedid, T-Bone Guarnerius de Vincent Segal (chaque titre étant enregistré dans un lieu différent : chapelle, extérieur, appartement).

Dans un prochain article, on s’interrogera plus en détails sur les contraintes liées à l’enregistrement en dehors des studios : matériel, acoustique des lieux, bruit extérieur…

Inside the Recording Studios #2 : 1965-1967, Temptations, Supremes, Sony & Cher, Sinatra

Suite du premier épisode. Un voyage dans le temps en vidéo, pour s’incruster dans quelques unes des sessions studios qui on marquées l’histoire de l’enregistrement. Aujourd’hui on s’intéresse d’abord aux sessions de la Motown avec les Temptations et les Supremes, avant d’aller tailler la bavette avec Franky et Sony…

 

1965 : The Temptations, My girl

L’association du rythm and blues et de la soul. Une section guitare-basse-batterie, juste à coté d’un petit ensemble de cordes et de cuivres, un piano, et un quintet de chanteurs… tout est là, simplement et sans artifices. Le son Motown.

1966 : The Supremes, My world is empty without you

On garde quasiment la même config instrumentale mais on remplace les hommes par des femmes. Please welcome The Supremes. Les responsables d’un des gros succès de la Motown en 64 : Baby Love.  Sur une autre vidéo, on peut même entendre le boss, Berry Gordy Jr en homme d’affaire avisé… Mais supprimée de Youtube, on a trouvée un petit extrait de l’originale.

1967 : The Temptations, Sorry is a sorry word

Une autre session (en couleur s’il vous plait) des Temptations. On constate encore une fois que l’espace n’est vraiment pas grand pour caser tout le monde.

Pour ceux qui veulent rentrer plus dans le détail de la Motown, on vous laisse regarder ce petit docu de 20mn super intéressant….

1965 : Frank Sinatra, It was a very good year

Dans les années 60, le crooner est au sommet de sa forme et enregistre ses albums sous propre label « Reprise Records ». On le voit ici au turbin avec son orchestre, faisant des blagues en tirant des taffes, demandant s’il n’y a pas trop de « pop » dans le micro et ironisant sur la durée de la chanson. « 4’12 ? Mais c’est plus long que le premier acte de Hamlet! ». Il est sur le point d’enregistrer ses plus grands succès, Stranger in the night en 66 et My Way, la reprise de cloclo, en 69.

1966 : Sony & Cher

Le petit bonus, Sony & Cher, qui en 66 surfent sur la vague de leurs deux premiers tubes sortis l’année d’avant « Baby don’t go » et « I got you babe ». On les voit en train de préparer leur 2è album, les conditions de travail n’étant pas si différentes qu’à la Motown, tous dans la même pièce, en live, par contre niveau coupe de cheveux Sony impose carrément son style.

https://www.gettyimages.fr/detail/vid%C3%A9o/sonny-and-cher-sing-together-inside-recording-studio-film-dactualit%C3%A9/584690884

A cappella #1 : Jim, Kurt, Sting & Mick

 

 

 

Plutôt que de se toucher la nouille pendant des heures, et dieu sait qu’on aime ça, pour savoir quel micro ou quel compresseur a été utilisé pour obtenir LE son de voix, prenons nous simplement une gentille claque en s’enfermant dans la cabine avec de vrais chanteurs. Attention, leçon.

 

 

Jim Morrison : Break on through

Septembre 1966, les Doors enregistrent en à peine une semaine leur premier album au Sunset Sound Studio de Los Angeles. Focus sur la voix de Jim.

 

 

 

Kurt Cobain : Come as you are

Enregistrée en live, le 18 novembre 1993 à New York pour l’émission MTV Unplugged, cinq mois avant la mort du leader de Nirvana. Et si on n’écoutait que le micro chant de Kurt ?

 

Sting : Every breath you take

De quoi vous réconcilier avec Sting & The Police. Enregistrée en 1983 par le producteur Hugh Padgham, sur le dernier album studio du groupe : Synchronicity. L’ambiance qui règne dans les studios est alors au plus bas entre Sting et le batteur Stewart Copeland, l’un enregistre le matin et l’autre l’après midi… cela n’empêche pas la voix du chanteur d’être à son apogée.

 

Mick Jagger : Gimme shelter

Le morceau qui ouvre l’immense album des Stones, Let it bleed, enregistré en 1969. On reste autant bluffé par la voix de Mick Jagger que par celle de la choriste Merry Clayton appelée au beau milieu de la nuit pour enregistrer, enceinte et en bigoudi. Ecoutez à 3:00, ça donne des frissons.

 

 

 

La prochaine fois, on se glissera notamment aux coté de Freddy Mercury et de David Bowie…. Stay tuned.

Inside the Recording Studios #1 : 1966-1968, Beach Boys, Beatles, Rolling Stones, les Who, Gainsbourg et Janis Joplin

Premier épisode de la série. Un voyage dans le temps en vidéo, pour s’incruster dans quelques unes des sessions studios qui on marquées l’histoire de l’enregistrement.

 

1966 : The Beach Boys, Good Vibrations

L’inénarrable Brian Wilson au boulot ! 17 sessions étalées sur 8 mois dans 4 studios différents, un coût estimé entre 50000 et 75000 $… Les premiers essais ont débutées pendant les sessions de l’album Pet Sounds, au Gold Star Studios, en février. Mais la vidéo est tournée au studios CBS Columbia Square, pendant les dernières séances du mois de septembre.

1967 : The Who, Pictures of Lily

Rapide intrusion dans les studios IBC de Londres pour l’enregistrement de la chanson onanique de Pete Townshend, Picture of Lily. Ambiance bon enfant et aiguilles des VU mètres qui s’affolent, guitares saturées et Keith Moon encore relativement sous contrôle.

1967 : The Beatles, All you need is love

Pour tout ceux qui s’intéressent aux sessions studios des Beatles, il y a une bible : Recording The Beatles, qui lève le voile sur tous les mystères et spéculations… Quel micro est utilisé sur la caisse claire de Ringo, quelle guitare a utilisée Harrison, quelle graisse de phoque est utilisée sur la machine à bande responsable de la voix bizarre de Lennon… tout je vous dis. Assez peu de vidéos par contre. Celle qu’on a choisi est une séance live en studio et en public : All you need is love est la première chanson diffusée en direct dans le monde entier par satellite, le 25 juin 1967. Nous sommes dans le studio 1 d’Abbey Road, les Neumann U47 sont chauds, les ballons sont gonflés et les fleurs sont prêtes. 3, 2, 1…

1968 : The Rolling Stones, Sympathy for the Devil

On aime tous un peu Jean-Luc Godard et on le déteste tout autant, mais il y a un truc pour lequel on lui doit une fière chandelle, c’est d’avoir été présent avec son équipe dans les murs des Olympic Studio, en ces beaux jours de juin 1968, pour filmer la naissance du morceau Sympathy for the Devil. Des images hallucinantes qui montrent les différentes mutations par lesquelles le morceau est passé et qui finissent en apothéose sur la prise voix de Mick Jagger, pendant que ses comparses font les « woohoo » derrière une cloison.

1968 : Serge Gainsbourg, Initials B.B

Entre les premiers essais au piano à Paris en février 1968 et les studios Chapell à Londres entre mars et avril 68 pour mettre en boite un monument. Serge Gainsbourg dans sa période anglaise qui lui va si bien. Du regard angoissé et timide des premières tentatives, au sourire à pleine dent de l’artiste satisfait qui écoute la version finale.

http://dai.ly/xt1eow

1968 : Janis Joplin, Summertime

On termine par la grande Janis Joplin, en plein boulot aux studios CBS avec le Big Brother and The Holding Company sur le standard de jazz Summertime. Ce sera l’une de ses dernières sessions studio avec le groupe, avant de commencer sa carrière solo. Le morceau fera partie de l’album Cheap Thrills, qui malgré la confusion due aux applaudissements ajoutées sur la bande, est bien un album studio. La belle mourra 2 ans plus tard.

Stay tuned pour le prochain épisode, on restera dans les années soixante mais on ira jeter un oeil et une oreille du coté de la Motown….

Les sessions « American Recordings » racontées par Johnny Cash et Rick Rubin

En 1993, Johnny Cash, dont la carrière est au plus bas va faire une rencontre décisive, celle du producteur Rick Rubin, avec lequel il va enregistrer ses plus beaux disques, les « Americans Recordings » jusqu’à sa mort en 2003. Quatre albums paraissent de son vivant et deux à titre posthume. Il revisite ses propres chansons de manière très intime et reprend des morceaux d’artistes aussi divers que surprenant : Nine Inch Nails, Hank Williams, Depeche Mode, Tom Waits, Leonard Cohen, U2. Ces disques ont eu un énorme succès et ont contribué à faire connaître Johnny Cash aux jeunes générations. Comment le producteur des Beastie Boys et de Slayer a t’il réussi à ranimer la flamme d’un vieux chanteur country et à lui faire enregistrer ses disques les plus intimes et les plus dépouillés ?

 

La rencontre

Johnny Cash : « Rick Rubin est apparu dans ma vie en 1993. (…) Lors d’un concert à Los Angeles, Rick est venu me voir en coulisses. Je me suis assis et j’ai écouté ce qu’il avait à dire. Je l’intéressai comme artiste pour son label American Recordings (…) J’ai trouvé ça assez improbable. C’était le hippie ultime, chauve sur le dessus du crâne, mais avec des cheveux qui lui descendaient jusqu’aux épaules, une barbe qui semblait n’avoir jamais vu un peigne (c’était le cas), et plus débraillé qu’un poivrot. Pour couronner le tout, son label était entièrement consacré au rap, au métal et au hard rock : les Red Hot Chili Peppers, les Beastie Boys ; une musique jeune, urbaine. De plus j’en avais marre d’auditionner pour tel ou tel producteur, et la perspective de me voir remodelé en espèce de « numéro rock » n’avait pour moi aucun intérêt. Même si ce type connaissait mon travail, même s’il m’avait tenu un bon discours, et même si j’avais distingué quelque chose en lui – après la rencontre j’ai dit à June qu’il parlait un petit peu comme Sam Phillips -, je ne pris pas ça au sérieux. Il n’y penserait bientôt plus ou son attention se détournerait vite, comme c’est courant dans ce business. Je me trompais. (…) »

« Je lui ai demandé de quelle manière il comptait procéder pour m’enregistrer. Que ferait-il que les autres n’avaient pas tenté ?

– Moi, rien, m’a-t-il expliqué. C’est vous qui allez le faire. Vous allez venir chez moi, vous allez vous asseoir dans mon salon, prendre une guitare et vous mettre à chanter. Au bout d’un certain temps, si vous le souhaitez, nous allons brancher un magnéto, et vous allez essayer tout ce que vous souhaitez enregistrer depuis toujours, plus vos propres chansons, plus de nouveaux morceaux que, peut être, je pourrais suggérer, si vous pensez pouvoir les utiliser. Vous allez chanter ce que vous aimez le plus et, là-dedans, nous allons chercher la « chanson-déclic » qui va nous indiquer la direction à suivre (…) »

« Là il éveillait vraiment mon attention. Son idée rejoignait directement le vieux désir que j’avais de réaliser exactement ce genre d’album : une collection de chansons parmi mes préférées, enregistrées de façon très intime avec juste ma voix et ma guitare, comme s’il était minuit, et que vous et moi étions dans la même pièce, seul à seul. (…) »

« -Je ne veux pas enregistrer sur ton label pour être marketé « scène alternative » ou « rock n’ roll », ai-je expliqué à Rick. Je ne me fais aucune illusion, ni sur ce que je suis, ni sur mon âge, ni sur la difficulté à combler le fossé qui me sépare de tous ces jeunes. Cela ne l’inquiétait pas. »

 

Rubin-Petty-Cash

 

Les premières sessions

Johnny Cash : « Je suis allé chez Rick, dans sa maison. Trois soirs de suite, nous nous sommes installés dans le salon, et j’ai chanté mes chansons pour son microphone. Dès que j’ai eu fini j’ai eu une vive excitation. L’idée d’un album réalisé de cette façon s’était mise à me séduire énormément ; maintenant, je réalisais que ça pouvait marcher, que ça pouvait voir le jour. (…) »

Rick Rubin : « Une grande partie de mon travail est de créer un environnement dans lequel l’artiste se sente en sécurité, afin qu’il puisse s’autoriser à être plus vulnérable. Il y a quelque chose de très beau à voir quelqu’un s’autoriser à être vulnérable. Je pense que c’est ça, plus que tout autre chose, mon boulot. »

« Au début, nous avons fait des démos acoustiques dans mon salon. Après cela, nous sommes allés dans différents studios, avec différents musiciens et essayé des chansons de manière différentes. Finalement, après beaucoup d’expérimentations, on s’est regardé et on a décidé qu’on préférait les trucs acoustiques – ces premières démos – à n’importe quel autre enregistrement que nous avions fait. On a donc décidé que ça devait être ça le premier album. »

« On amenait chacun tout ce qu’on avait. J’envoyais à Johnny des Cds qui contenaient parfois 30 chansons, parfois une seule. C’était soit des choses qui me semblaient pouvoir lui plaire, soit qui me semblaient appropriées. Ensuite il m’appelait et me disais : « J’aime bien ces quatre là » ou « j’aime beaucoup celle ci ». Et il m’envoyait des chansons, et je lui disais lesquelles j’aimais et pourquoi, et lesquelles je n’aimais pas et pourquoi. Il s’agissait de trouver un terrain commun dans lequel nous aimions tous les deux les chansons. »

Johnny Cash : « Ca a été une grande expérience. J’ai ramené ma musique au plus profond de ses racines, revenant au cœur des choses, et j’ai enregistré près d’une centaine de chansons. Ensuite, nous les avons écoutées une par une, identifiant celles qui avaient le feeling intimiste que nous cherchions, cette impression de se trouver seul à seul, tard dans la nuit. A titre d’expérience, nous avons ajouté de l’instrumentation, mais finalement jugé que ça marchait mieux quand j’étais seul. (…) Pas de réverb’, pas d’écho, pas de slapback, pas d’overdubbing, pas de mixage, simplement moi en train de jouer de la guitare et de chanter. Je n’ai même pas utilisé de médiator : la moindre note de cet album est sorti de mon pouce. »

 

 

Interprétation et parti pris

Rick Rubin : « Je crois qu’il essayait de s’approprier les morceaux. Il les lisait et je ne crois pas qu’il se souciait vraiment de quelles étaient les intentions de l’auteur. C’était plutôt : « Comment cette chanson me touche, et comment je peux transmettre cette humeur, cette émotion que je ressens dans ma version de cette chanson ? » Il était vraiment un maître dans l’art de prendre une chanson – même une que vous connaissiez très bien – et de l’imprégner profondément comme un vrai narrateur. Même si vous l’aviez entendue des centaines de fois dans votre vie, quand il la chantait, tout d’un coup vous la compreniez, ou vous lui découvriez un autre sens, ou vous la preniez plus sérieusement. »

« Il y a beaucoup d’exemples, mais pour moi celui le plus marquant a été «Bridge Over Troubled Water ». J’ai entendue cette chanson toute ma vie, mais avant de l’entendre chantée par Johnny, je n’avais compris de quoi elle parlait. Tout d’un coup, les mots ont pris un sens beaucoup plus sérieux. Beaucoup de gens ont ressenti ça à propos de « One », la chanson de U2. Ils ont dit que quand Johnny l’avait chanté, les mots sont devenus vrais, de manière très différente de ce qu’ils avaient entendu jusque là. »

« The First Time Ever I Saw Your Face », que nous avons enregistré pour American IV, est une chanson d’amour, mais je lui ai dit de ne pas la chanter comme si c’était une chanson d’amour adressée à une personne mais une chanson d’amour adressée à Dieu. Cette idée l’a beaucoup inspiré et lui a donné un point de vue. »

Bilan

Rick Rubin : « Les objectifs que nous avions étaient très nobles. Nous voulions tous les deux faire le meilleur travail possible, et il y avait très peu de pensées « commerciales » dans la démarche. C’était vraiment une question d’art, et d’amour des bonnes chansons. Et encore une fois, pour moi, il s’agissait de reconsidérer l’expérience d’un nouvel album pour Johnny – le numéro 40, le numéro 45, le numéro 70 ou peut importe – et de le penser cette fois comme : « Tout ce que nous faisons doit être le mieux que nous puissions faire, peut importe ce que ça demande ». »

Johnny Cash : « Au festival de Glastonbury, en Angleterre, juché sur mon tabouret, j’ai joué mes chansons pour un public de 100 000 jeunes, qui m’ont réellement écouté. Ce soir là j’ai réalisé que la boucle était bouclée. J’avais ramené ma musique à sa nudité première, d’avant la célébrité, d’avant l’électricité, d’avant Memphis. Comme si j’étais de retour à Dyess, que je chantais assis sur les marches à l’avant de la maison avec Maman pour seule auditrice, un soir des années 1940, sous le ciel clair de l’Arkansas, tandis que les panthères faisaient entendre leur feulement dans les buissons, avec l’impression, au bout du compte et presque miraculeusement, que le public appréciait cette sensation autant que je l’appréciais moi-même. »

 

 


Les paroles de Rick Rubin sont extraites d’une interview par Lydia Hutchinson pour le magazine Perfoming Songwriter : http://performingsongwriter.com/rick-rubin/

Les paroles de Johnny Cash sont extraites de son autobiographie : Johnny Cash, Cash : L’autobiographie, Le castor Astral, 1997.

Théâtre & sonorisation : 3 fois plus de haut-parleurs pour un son de pluie que pour un groupe de rock

 

Lorsqu’on se rend à un concert, on est habitués aux deux enceintes 1 qui trônent de part et d’autre de la scène et qui permettent de diffuser la musique jusqu’aux oreilles de tous les spectateurs. Que le concert soit du Jazz ou du Post-Rock, ce système de diffusion sera la plupart du temps parfaitement adéquat. On a donc de quoi être dubitatif quand on voit un créateur sonore d’une pièce de théâtre s’afférer à brancher une bonne dizaine d’enceintes pour diffuser des ambiances assez légères… Explications.

 

 

Les enjeux du son au théâtre sont très différents de ceux de la sonorisation d’un concert. Un de ces enjeux, celui qui nous intéresse aujourd’hui, va être de recréer un univers, réaliste ou non, et de plonger le spectateur dedans. Prenons un exemple concret : on veut situer l’action sur une place de village sous la pluie. Facile. On va chercher sur internet « son de pluie », choisir celui qui nous plait le mieux, ou bien l’enregistrer nous même avec toutes les précautions nécessaire et le diffuser dans le système son du théâtre, ces fameuses deux enceintes de façade, et on sera probablement très déçu du résultat : une sensation d’ « effet sonore » pas crédible pour un sou. Plusieurs raisons à ce phénomène.

La première, c’est que le « son de pluie » est en réalité une multitude de sons de gouttes qui tombe sur le sol, dans les arbres, ou sur des objets. Avec notre son enregistré qui sort des enceintes, l’oreille entend bien que toutes ces gouttes sortent de la même boite située au dessus de nos têtes et la sensation est très différente. Une première étape va être de diffuser ce même son de pluie avec des enceintes situées au sol, en fond de scène ce qui provoquera une sensation déjà plus agréable en terme de localisation du son.

L’autre raison, c’est celle que décrit Daniel Deshays dans son livre Pour une écriture du son, qui s’interroge sur notre manière de percevoir la pluie dans le monde réel. « Entendue dans la nature, la pluie n’est en réalité perçue que par bribes, dans un continuum qui n’apparaît pas en permanence à notre conscience. » 2 Autrement dit, notre cerveau va y faire attention un instant, et passer à autre chose, puis revenir dessus plus tard. Lors d’une conversation dans un bar, on ne va pas entendre continuellement le brouhaha ambiant, on va l’oublier très vite en entamant une discussion… « La diffusion continue du flux d’une pluie par les haut-parleurs ne produira, hélas, pas la même sensation. Nous nous trouvons alors face à de la surprésence qui ne cesse de nous dire “écoutez, il pleut” ». 2

Une solution possible est alors de multiplier les points de diffusion, et de recréer ainsi un monde sonore dans le théâtre, plutôt que de vouloir imposer à l’oreille un espace sonore préenregistré. On va ainsi diffuser un son de pluie qui tombe sur l’herbe dans une ou deux enceintes en fond de scène, un son de gouttière dans une autre enceinte cachée dans le décor, un ruissellement dans un caniveau dans une quatrième, quelques gouttes tombant sur de la tôle dans un cinquième haut-parleur accroché en hauteur etc… L’auditeur retrouve ainsi sa liberté d’écoute, et peut choisir d’accorder de l’attention à tel ou tel événement sonore.

Cette manière de procéder, généralement appelée multi-diffusion, est très différente du multi-canal (système 5.1 par exemple), qui vise lui à retranscrire un espace sonore préenregistré, et qui n’est optimal que lorsqu’on est au centre de la salle. Dans l’exemple qu’on a donné, on recrée un petit monde sonore qui résonne sur la scène et dans la salle, au même titre que les voix des comédiens, et qui fonctionne peut importe la place que l’on a dans la salle.

Précisons pour finir, que cet article n’a pas pour vocation à dire « voilà comment il faut faire », mais juste humblement d’ouvrir des pistes de réflexions à ceux qui s’intéressent à la question du son dans le spectacle vivant.

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1 Pour être précis, ajoutons qu’il y a généralement, un ou deux subwoofers, couplés à ces enceintes qui permettent de diffuser les fréquences graves. Ajoutons également que dans les grandes salles, il y a bien souvent plusieurs enceintes de chaque coté, voire un empilement de Haut-Parleurs, un Line-Array, permettant de diffuser le son de manière cohérente dans toute la salle. Mais ceci ne change rien à notre histoire…

2 Daniel Deshays, Pour une écriture du son, Paris, Klincksieck, 2006

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