Enregistrez n’importe où ! #1 Quelques disques cultes

 

 

Premier volet d’un dossier qui nous intéresse particulièrement : l’enregistrement musical en dehors des studios. Que ce soit par manque de moyens, par envie d’essayer autre chose, par simple commodité ou par désir de trouver le lieu parfait pour la prise parfaite, les exemples d’albums réalisés dans des lieux incongrus ne manquent pas. C’est parti pour une sélection de morceaux « home made » qui n’auraient surement pas été les mêmes si ils avaient été enregistrés en studio.

 

Atlantic Records

1952. Le label Atlantic Records enregistre tous ses disques dans ses locaux au 234 West 56th Street, au dernier étage d’un très vieil immeuble, dans une pièce de 50 m2 servant de bureau à Ahmet Ertegün et Jerry Wexler. Ce dernier explique « Nos bureaux se touchaient. Quand il y avait une session d’enregistrement, nous les poussions le long d’un mur et les mettions l’un sur l’autre – ce qui nous a valu des décennies de mal au dos – et Tom Dowd installait des chaises pliantes et des chaises de camping, puis il plaçait les micros. » Ils vont y enregistrer des moments magiques, comme les premières sessions de Ray Charles.

Ray Charles – Mess Around – 1953

 

Automne 1954. Ray Charles appelle les deux jeunes boss d’Atlantic pour leur dire de le rejoindre illico à Altanta pour écouter ses nouvelles chansons. Lorsqu’ils pénètrent dans le club du centre-ville, le Royal Peacock, le groupe entame les premières mesures de I got a woman, Wexler et Ertegün sont conquis. Il faut vite enregistrer. Le seul endroit ressemblant à un studio d’enregistrement est une station de radio, WGST dans laquelle ils vont se débrouiller pour enregistrer le lendemain, en s’arrêtant de jouer au moment des infos et des publicités. Des conditions sommaires mais suffisantes pour graver un morceau qui aura un impact énorme sur le public noir comme sur le public blanc, chose rare à l’époque, en fusionnant blues et gospel (musique profane et musique sacrée).

Ray Charles – I got a woman – 1954

 

The Rolling Stones

1970. Quatre mois après une courte session improvisée en Alabama au Muscle Shoals Sound Studio (trois jours durant lesquels ils poseront sur bande les bases de Brown SugarWild Horses et You Gotta Move), les Rolling Stones se retrouvent dans le manoir de Mick Jagger, Stargroves, pour enregistrer la majeure partie de l’album Sticky Fingers. A l’aide du Rolling Stones Mobile Studio, un camion-régie imaginé par Ian Stewart avec à son bord console de mixage et enregistreur à bande, ils s’essaient à un nouvel environnement pour enregistrer de la musique.

Rolling Stones – Can’t you hear me knoking – 1971

Ils récidivent un an plus tard durant l’été 71 et enregistrent Exile on Main St. dans le sous-sol de la villa louée par Keith Richards sur la Côte d’Azur, à Villefranche-sur-Mer. Des prises additionnelles (notamment les voix) seront faites quelques mois plus tard au Sunset Sound Recorders à Los Angeles.

 

Radiohead

1996. Radiohead fait appel à Nigel Godrich pour enregistrer leur troisième album, OK Computer. A cette époque le guitariste Johnny Greenwood explique : « Très souvent, quand tu rentres dans un studio d’enregistrement, ça sent l’odeur de Whitesnake ou du groupe qui est passé avant toi. Il y a des disques d’or partout. Ce n’est pas un endroit qui incite particulièrement à la créativité. » Ils décident donc de donner une grosse enveloppe à Godrich pour acheter le matériel d’enregistrement qu’il estime nécessaire. Les sessions commencent dans un hangar désaffecté de l’Oxfordshire, puis le groupe s’isole pendant trois mois dans un vieux manoir près de Bath, le St. Catherine’s Court. La plupart des prises ont été faites dans la salle de bal, la régie étant disposée dans la bibliothèque. Pour Exit music (for a film), le chant fut enregistré dans le froid glacial du hall d’entrée, la batterie dans la chambre d’enfants, au milieu des jouets et des peluches. Dans cet endroit totalement isolé, le temps s’était arrêté : le groupe jouait parfois au croquet au beau milieu de la nuit et commençait à enregistrer au petit matin.

Radiohead – Exit music (for a film) – 1997

 

Foo fighters

1999. Les Foo Fighters, alors sans guitariste, enregistrent en trio leur troisième album There is nothing left to lose dans le sous-sol de la maison de Dave Grohl en Virginie. Pour le suivant, One by one, le groupe passe quatre mois aux Conway Studios à Los Angeles pour finalement tout jeter à la poubelle. Après une longue pause, ils retournent en Virginie pendant deux semaines et ré-enregistrent tout. Dave Grohl résume : « All my life(première version) a couté 1 million de dollar et est à chier. All my life (deuxième version) a été fait dans ma cave en 30 minutes et c’est devenu the biggest fucking song que le groupe ai jamais eu ». Le groupe renouvellera l’expérience en 2011 pour Wasting Lights, enregistré en Californie, encore une fois chez Dave Grohl, dans son garage et son salon, par Butch Vig et sur bandes.

Foo Fighters – All my life – 2011

 

Bill Ryder-Jones

2015. Après de nombreuses collaborations avec Alex Turner (Arctic Monkeys, The last shadow puppet…), Bill Ryder-Jones a besoin de faire le bilan et de se retrouver. Il écrit et enregistre West Kirby County Primary  son troisième album, dans sa chambre d’enfant, dans la maison de sa mère à West Kirby, le quartier où il a grandi, sur la côte anglaise, à deux pas de Liverpool. Un voyage introspectif et intimiste. Des prises additionnelles seront faites aux Parr St. Studios à Liverpool.

Bill Ryder-Jones – Tell me you don’t love me watching – 2015

 

To be continued…

On aurait pu citer Nebraska de Bruce Springsteen, enregistré à la maison avec un 4-pistes, ou une bonne partie de la discographie de Daniel Johnston, enregistré par ses soins dans le sous-sol de ses parents. Du coté français, les exemples sont nombreux également : A la belle de Mai de Renaud, Le baptême de Mathieu Chedid, T-Bone Guarnerius de Vincent Segal (chaque titre étant enregistré dans un lieu différent : chapelle, extérieur, appartement).

Dans un prochain article, on s’interrogera plus en détails sur les contraintes liées à l’enregistrement en dehors des studios : matériel, acoustique des lieux, bruit extérieur…